L'implacable réalité des traders sur devises...
23/11/2011 | 11:00 | Nessim Ait-Kacimi
Les plus actifs sont ceux qui perdent le plus, conformément à ce qui est observé sur les actions. L’espérance de vie sur le marché des changes est courte et les 3/4 des individus l’abandonneront tôt ou tard faute de résultats.
Un nombre croissant de particuliers se tournent vers les monnaies plus que vers la bourse, en berne, afin de tenter de gagner de l’argent. Pour quels résultats ? Une étude américaine récente [1] répond à cette question en se focalisant sur les traders amateurs membres (5700) d’un courtier en ligne et réseau social spécialisés sur les changes. Conclusion : la majorité d’entre eux perdent de l’argent sur les devises. Seul 1 sur 5 engrange des profits, et les plus actifs sur le marché sont ceux qui perdent le plus. Ils payent le prix fort de leur excès de confiance. Un travers constaté aussi chez les professionnels.
Portrait robot
Dans l’échantillon étudié, le particulier est âgé de moins de 40 ans et dispose de 1 à 3 d’expérience sur les marchés. Féru d’analyse technique (graphiques...) très populaire et courante sur le marché des changes, il a une vingtaine d’amis sur le forum dédié du courtier en ligne. Il spécule à très court terme. La moitié de ses positions sont détenues pendant moins d’une heure et seules 10% d’entre elles au delà d’une journée. L’euro-dollar concentre à elle seule plus d’une transactions sur 3. Il utilise un effet de levier important, de l’ordre de 34 fois son dépôt initial, pour une transaction moyenne de près de 35 000 dollars.
Une majorité de perdants
L’étude fait la distinction entre les traders très actifs (jusqu’à une centaine d’opérations par jour), formant un tiers de l’échantillon, et ceux qui traitent peu, moins d’une fois par jour. Ces deux catégories perdent de l’argent sur les changes, autour de 6,2 dollars par transaction. Pourtant, plus d’une de leurs transactions sur deux (64% dans le cas des actifs et 57% pour les peu actifs) génère un profit. Seulement leurs pertes réalisées sur un nombre moins important d’opérations dépassent, en cumulé, leurs bénéfices encaissés sur un nombre pourtant plus important de trades (opération) gagnants. En d’autres termes, ils semblent prendre leurs bénéfices trop rapidement et renoncent ainsi à une partie de leurs profits. A l’inverse, ils gardent trop longtemps leurs positions perdantes et aggravent ainsi leur cas.
Le piège de la sur-activité
Les pertes par opération sont plus faibles chez les particuliers actifs mais leur suractivité multiplie ces petites foyers de pertes. La volatilité de leurs rendements (hebdomadaires) est aussi de 50% plus importante que celle des particuliers peu actifs. Bilan, la proportion de traders gagnant de l’argent est plus faible chez les très actifs (17,8%) que pour l’ensemble de l’échantillon (21%). Leurs pertes accumulées sont aussi deux fois supérieures aux autres, 4800 dollars contre 2300 dollars. Alors que leurs contre-performances accroissent la probabilité que les particuliers jettent l’éponge et abandonnent le trading, ce n’est pas le cas pour les plus actifs d’entre eux. Ils persévèrent malgré leurs pertes. De la persévérance à l’aveuglement, il n’y a apparemment qu’un pas, vite franchi...
Une tendance générale à l’augmentation de l’activité sur les devises est perceptible pour tous les individus du panel. Le feu nourri de publicités agressives vantant les mérites du Forex y est peut-être aussi pour quelque chose. Entre 2009 et fin 2010, on est ainsi passé de 40 opérations par mois et par trader à près du double. La volatilité attise la spéculation et l’envie d’en découdre sur les marchés. Et d’ailleurs, la volatilité des rendements des particuliers a elle aussi progressé, un témoignage des risques accrus de leur trading, dont ils n’ont peut-être pas pris conscience.
Communiquer ses gains
Les individus seront d’autant plus enclins à communiquer avec les autres sur le forum qu’ils viennent d’engranger des gains sur leur portefeuille de devises. C’est particulièrement vrai pour les plus expérimentés : communiquer sur leurs (bons) résultats est un moyen de gagner de la notoriété sur le forum et d’accéder à un statut de gourou. La finance comportementale montre en outre que les investisseurs ont la fâcheuse tendance à attribuer leur succès à leur talent alors que leurs échecs sont mis sur le compte de la malchance ou de l’irrationalité du marché. Cela les conduit logiquement à n’évoquer que leurs meilleurs coups avec leurs semblables, en restant muets sur leurs mauvais paris.
Intérêt des forums
Sur le forum, les particuliers qui reçoivent des messages de la part des vainqueurs (les traders qui ont récemment gagné de l’argent) seront incités en retour à traiter davantage sur le marché, en essayant de répliquer le succès de leurs homologues. Ainsi une hausse de 1% du rendement de l’initiateur du message se traduit par une progression de 2% des transactions de celui qui le reçoit. D’où l’intérêt pour les courtiers en ligne de disposer de leur forum, qui est notamment un moyen d’accroître le nombre d’ordres passés en mettant en relation les individus et notamment les plus en réussite. En outre, il est démontré que le forum est un moyen de retenir ses membres et d’éviter qu’ils jettent l’éponge. La probabilité qu’un individu abandonne le trading (et donc son courtier en ligne) est de 30% à 40% inférieure quand il reçoit des messages et communications des autres membres du forum. Il se sent alors moins seul et plus confiant (à tort) dans ses capacités de gagner de l’argent en étant au contact des stars du day-trading. Les échanges d’informations au sein de ce forum semblent encourager voire même promouvoir des pratiques risquées en matière de trading concluent les auteurs de ces travaux. Cela s’explique par la tendance qu’ont les traders particuliers à copier les stars supposées ou auto-proclamées, des forums. Cela peut fonctionner ponctuellement de manière impressionnante mais pas sur le long terme.
NESSIM AIT-KACIMI
[1] « The dedicated and the dabblers : how social interaction propagates active investing », Rawley Z. Heiler, David Simon, Brandeis University, août 2011
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